Big Eyes, Tim Burton – 2015

big eyesAprès la surprenante et un peu pénible expérience de « L’homme des foules » d’hier soir, rien de tel qu’un Tim Burton pour reprendre contact avec un cinéma un peu plus classique. Encore qu’en allant voir le dernier Burton, j’espérais malgré tout être surpris, comme avec tous ces films. L’ai-je été ? Pas autant qu’avec « Edward aux mains d’argent« , « Charlie et la chocolaterie« , ou encore « Big Fish » dont il reprend ici un bout du nom, mais j’ai néanmoins adoré ce nouvel opus « burtonien ».

J’ai été moins surpris car on ne retrouve pas grand chose de l’imagination délirante de Burton dans ce film. Il ne reprend pas le parti de faire évoluer ces personnages dans un univers fantastique. Burton a fait un film très classique sur un sujet qui pourtant pouvait mériter et inspirer l’imaginaire débordant de Burton, puisqu’il s’agit de fouiller ce qui fait naître et ce qui fait vivre le processus créatif de l’artiste, en étudiant le rapport entre celui-ci et son œuvre. Des mondes extraordinaires de Burton il ne reste donc (presque) rien, si ce n’est pas des couleurs toujours éclatantes et la fraîcheur de la mise en scène. Mais ça reste malgré tout une narration très classique. Ce qui pourrait être décevant permet en fait de se concentrer sur le récit en lui-même, et sur l’histoire.

Quelle est-elle ? C’est celle de Margaret, qui, suite à un divorce, se retrouve seule avec sa jeune fille à San Francisco, un peu perdue et obligée de brader ses talents de dessinatrice pour peindre des figures sur des meubles en bois, et d’essayer de vendre pour 2 sous quelques pastels de portraits sur des vide-greniers, portraits dont la particularité est de représenter les visages avec des gros yeux. Elle y croise Walter Keane, qui comme elle essaye de vendre quelques toiles des rues de Montmartre dont il ne cesse de se remémorer les ambiances romantiques et bucoliques qu’il a côtoyé lors d’un précédent séjour parisien. Les deux artistes en manque de reconnaissance sympathisent, se marient. Walter a de l’ambition, il prend en mains la destinée du couple pour exposer leurs œuvres respectives, ce qu’ils parviennent à faire dans un couloir sordide menant aux toilettes d’un piano-bar. Des circonstances hasardeuses vont faire que des premiers regards vont se porter sur les « Big Eyes » tristes de la désormais Mme Keane. Monsieur Keane se sent blessé dans son âme d’artiste, car ses rues et ses trottoirs parisiens n’attirent que l’indifférence. Il décide alors de s’approprier les « Big Eyes », d’abord en le cachant à sa femme, puis en lui révélant sa tromperie. Celle-ci cède, prêtant son âme créatrice à son mari, qui a au moins l’art de savoir se vendre et d’inventer toutes sortes de stratagèmes pour magnifier son génie.

Le succès arrive, étourdissant, obligeant le couple à se retrancher toujours plus loin pour cacher leur stratagème, et c’est là la partie la plus intéressante du film, quand il s’agit pour lui de s’approprier non seulement la propriété des œuvres, mais d’en expliquer la genèse (avec des questionnements sur le sens de la création), et pour elle d’accepter de plus en plus de sacrifices pour produire toujours plus sur le dos de ces renoncements à sa reconnaissance (la poussant à voir en vrai des « big eyes » et à être tentée ou poussée à modifier son œuvre). Le jeu entre mari et femme devient machiavélique au fur et à mesure que le succès se développe, jusqu’à la découverte d’une énième facette de qui est réellement ce Monsieur Keane.

Pour jouer ces personnages de proie et d’affabulateur, Burton a fait appel à Christopher Waltz pour le rôle de Walter Keane, dont l’accent anglais découpé dans un nougat autrichien va très bien avec le personnage, même s’il joue parfois un peu trop fort dessus comme dans certains de ses précédents films « Inglorious Basterds » et « Django Unchained » de Tarantino. Du coup, on a l’impression de le voir comme on l’avait vu dans ces autres films, et ce qui pourrait sembler une composition parfaite pour accentuer le côté manipulateur de Walter, n’en n’est en fait pas une, c’est « juste » du Christopher Waltz jouant ce qu’il sait faire (mais cela reste très approprié pour ce rôle). De l’autre côté, Margaret Keane est jouée par Amy Adams (« Sur la route » de Walter Salles, « American Bluff » de David O. Russell, « The master » de Paul Thomas Anderson), qui oppose à Christopher Waltz sa finesse, son insouciance accouplée à sa confiance aveugle, son imperturbable sang-froid devant l’effroi de la vérité qui éclate. Il y a aussi beaucoup de second rôle, dont Dee-Ann, l’amie de Margaret, interprétée par Kristen Ritter que j’ai retrouvé avec plaisir après l’avoir tristement abandonnée dans la saison 3 de Breaking Bad (cf ma critique de cette série).

Encore une fois la narration est classique, la fin du film vire presque au polar avec quelques ambiances hitchcockiennes, mais le film vaut surtout par les interrogations sur l’Art, et sur ce qui l’entoure, l’emprise des galeries et des cercles spécialisés pour décréter ce qui est Art et ce qui ne l’est pas, donnant lieu à quelques points de vues particulièrement percutant. Même si d’autre films ont poussé beaucoup plus loin leur réflexion sur le processus créatif ou sur le monde de l’Art, celui-ci reste intéressant par la vision qu’il donne sur la condition d’être artiste et de rêver de l’être et de la folie et la démesure vers lesquels cela peut conduire. Mon seul regret c’est que Burton, avec son génie justement créatif ne pousse pas encore plus loin les interrogations de Mme Keane et ses tortures intérieures lorsqu’elle se voit dépossédée de son oeuvre. J’aurais aimé voir d’autres scènes comme celles au milieu du film,  géniales scènes des visages déformées par les « Big Eyes » qui crient leur envie de devenir réels, ou comme celle de la transformation des formes des peintures de Mme Keane qui donnent à ses portraits des lignes plus élancées pour les rapprocher du style de Modigliani pour s’échapper de l’emprise de son mari.

Un beau film, qui place l’Art avec élégance mais pas sans manipulation dans son cadre, et qui en dit long aussi sur sa consommation, puisqu’il s’agit d’une histoire vraie !

La bande-annonce :

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